Petit à petit, mon chum et moi vidons les annexes du presbytère avant que tout ne s’écroule. La semaine dernière, il est revenu avec cette machine à écrire Underwood. Il s’agit, bien sûr, de la machine à écrire du Rév. Dickson, puisque celui-ci était l’éditeur du journal The Megantic Gazette et qu’il y écrivait quelques articles.
Je ne connais pas encore le modèle ni l’année de cette machine, mais selon mes recherches, il s’agit probablement d’une No. 3. C’est un modèle assez rare, et celui-ci date d’avant 1915 (année du décès du Rev. Dickson).
Offre d’abonnement combiné pour The Megantic Gazette et The Weekly Mail and Empire (l’ancêtre du Globe and Mail). Lettre écrite par le Rév. Dickson possiblement sur la Underwood ci-haut (avant 1911). |
Pour moi qui suis fille de journaliste, la découverte dans les annexes du presbytère des journaux, machines à écrire et plaques d’imprimerie fut tout un choc. Je vous rappelle que j’ai acheté cet endroit sans savoir ce qu’il contenait. On parle ici de hasard? de destin? de karma? Peu importe, on parle surtout de passion. Et celle-ci doit avoir quelque chose à voir avec mon âge, ou plutôt ma génération, celle qui a vécu toute une révolution.
Je suis née avant les ordinateurs. En fait, j’ai même connu la plume et l’encrier. Mon père a été correspondant à Paris pour le journal La Presse à la fin des années 60. J’ai donc commencé l’école en France à l’âge 4 ans. Dans cette école, on nous apprenait à écrire en belles lettres attachées, presque calligraphiées, et pour ce faire, on utilisait une plume trempée dans un petit flacon d’encre inséré dans un orifice du pupitre pour ne pas le renverser. On nous apprenais à “dessiner” des lettres avant même que ne nous sachions lire. Écrire était un art!
J’ai ensuite appris l’écriture plus fonctionnelle, avec un crayon ou un stylo. J’ai longtemps gardé le style attaché, avec des lettres majuscules un peu exagérées, comme je l’avais appris en France. Mais bientôt, je me suis mis à l’écriture rapide, puis de plus en plus rapide au fur et à mesure que j’avançais dans mes études. À l’université, prendre des notes de cours relevait de la haute voltige. Et mon écriture à beaucoup perdu en esthétique à cette époque.
Mais heureusement, il y avait la machine à écrire pour mettre nos travaux au propre. Combien de nuits blanches j’ai passé à taper et retaper des pages et des pages de textes pour mes travaux d’université. La machine à écrire avait le défaut de ne pas corriger les fautes de frappes. Il fallait pour cela le bon vieux ‘liquid paper”.
Puis lorsque je suis arrivée sur le marché du travail, l’ordinateur commençait à peine à s’y frayer un chemin. Et rares étaient les maniaques qui en possédaient un à la maison. À $ 2000 pièce, dans les années ’80, peu de gens pouvaient se payer ça. Mais 10 ans plus tard, déjâ, tout le monde avait troqué sa vieille dactylo électrique pour un petit Mac 128k:
Aujourd’hui, on n’écrit presque plus à la main, et encore moins à la dactylo. On tape sur un clavier, bien sur, mais ce n’est pas comme sur une machine à écrire. Avec le papier, il y a un rapport physique à l’écriture qu’on ne retrouve plus derrière l’écran de l’ordinateur. C’est, d’après moi, ce qui induit tous les débordements sur la toîle. On écrit trop vite, sans réfléchir, et sans prendre le temps de se relire, même pour corriger les fautes. On pèse sur Send et hop! on vient de dire une connerie. Et des centaines, voire des milliers de personnes voient ça. On publie au fur et à mesure. Des millions d’écrivains sans éditeurs, sans boussoles, et sans scrupules.
Qui aurait pu rêver d’un tel lectorat à l’époque du papier et de la plume? Avant internet, et les réseaux sociaux surtout, fallait être écrivain, journaliste ou professeur pour avoir un public lecteur. Maintenant, n’importe qui le peut. Sans diplôme, sans expérience, et souvent sans jugement.
Le Rev. Dickson était de cette élite qui avait une tribune et un public à qui écrire et pour qui publier. Il l’avait fait en devenant l’éditeur de la Gazette de Megantic. Et il nous a légué 11 années de cette chronique hebdomadaire sur la vie des gens de Megantic.